Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle
(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)
Le monde est à la croisée des chemins. Les connaissances et les forces productives existantes permettraient de satisfaire les besoins matériels et culturels élémentaires de tout(e)s les habitant(e)s de la planète. Mais la faim et le manque de logements s'étendent même aux pays les plus riches. Des millions d'êtres humains meurent de maladies guérissables. Résultat de l'infanticide des bébés de sexe féminin et d'autres formes de discrimination à leur encontre, cent millions de femmes manquent à la population mondiale d'aujourd'hui.L'écart se creuse entre les riches et les pauvres. En 1960 il était de 1 à 60. En 1990, il est de 1 à 150 entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres des habitant(e)s de la planète.
Avant tout, la survie physique de l'humanité est menacée par l'accumulation d'armes nucléaires, biologiques et chimiques, ainsi que par une détérioration de plus en plus prononcée de la biosphère.
Mais, malgré une contestation continue par d'amples luttes de masse sous des formes encore particulières dans chacun des trois secteurs de la réalité mondiale: les pays impérialistes, les pays du "Tiers-monde" et les pays de l'Est le système capitaliste, qui est le principal responsable de ces maux, semble moins contesté dans son ensemble qu'il ne l'était depuis des décennies. L'idée qu'il a remporté définitivement la victoire sur le socialisme faussement identifié avec les sociétés sous domination bureaucratique en URSS et en Europe de l'Est est largement répandue.
Cela est avant tout dû à la crise de crédibilité du socialisme en tant qu'objectif social global aux yeux des masses, crise qui se développe au moins depuis le début des années 80. Elle résulte de la prise de conscience par ces masses de la faillite pratique du stalinisme-post-stalinisme, de la social-démocratie, et du nationalisme populiste dans le "Tiers-monde".
La forme concrète prise par la chute des dictatures bureaucratiques à l'Est, sans une avancée en direction du socialisme, y contribue puissamment.
Cette crise bloque à son tour, dans l'immédiat, la solution des problèmes brûlants auxquels l'humanité est confrontée, conférant aux mouvements massifs de contestation un caractère essentiellement fragmentaire et discontinu.
En dernière analyse, ces problèmes ne pourront être résolus que si le caractère aliéné et aliénant du travail humain est dépassé de manière décisive, si la grande majorité des hommes et des femmes deviennent maîtres et maîtresses de leur destin dans la production, la consommation et la cité. A cette fin, ils doivent conquérir le pouvoir de décider consciemment, librement, démocratiquement, de leur destinée. Voilà le sens d'une société autogérée et d'une civilisation supérieure. Voilà pour nous le contenu essentiel du socialisme.
I. L'enjeu
1. Montée des dangers
Malgré les mesures de réduction des arsenaux nucléaires, la course aux armements se poursuit. Les armes accumulées finissent par être utilisées avec toutes les conséquences barbares qui en découlent. Depuis 1945, il y a eu plus de 100 guerres dites locales qui ont coûté 20 millions de morts. L'agression brutale de l'impérialisme contre l'Irak en 1991 a révélé toutes les conséquences barbares de cette course aux armements. L'existence d'énormes stocks d'armes nucléaires, le développement des armes biologiques et chimiques, la prolifération de centrales nucléaires susceptibles de se transformer en autant de fusées nucléaires, même en cas de guerres "conventionnelles", impliquent un risque de destruction physique du genre humain.
Les menaces de réchauffement progressif de l'atmosphère, de destruction de la couche d'ozone, de dévastation des forêts tropicales et des zones tempérées, d'empoisonnement des océans et des réserves d'eau douce, de pollution de l'air, de destruction progressive de la couche d'humus des terres cultivables, d'élimination massive d'espèces vivantes qui disparaissent à présent à un rythme mille fois supérieur à la "normale"; d'étouffement des villes et de dégradation des campagnes: tout cela se conjugue pour saper les bases de survie physique de l'humanité.
Des peuples entiers risquent de basculer vers la famine, non parce que la productivité agricole mondiale serait trop faible, mais parce qu'elle est trop élevée pour garantir des profits suffisants à l'agro-industrie et aux gros cultivateurs des pays les plus riches. Dans ces derniers, l'Etat accorde des primes pour une réduction systématique des emblavures "afin de soutenir les prix", au risque de supprimer les réserves céréalières de toute l'humanité lorsque quelques mauvaises récoltes se succèdent.
La longue dépression que traverse l'économie internationale depuis le début des années 70 produit sur les conditions d'existence des peuples de presque tous les pays du "Tiers-monde" des effets d'ores et déjà désastreux. Selon un rapport officiel des Nations-Unies, il y a un milliard de pauvres même définis de manière par trop restrictive.
Dans les métropoles impérialistes, les effets de la crise, même s'ils sont de plus en plus apparents, ont été jusqu'à présent freinés par les conquêtes arrachées au cours des décennies précédentes de luttes ouvrières (notamment en matière de protection sociale) et par la force sociale que représente la classe ouvrière. Il y a néanmoins une montée en flèche du chômage : plus de 40 millions de chômeurs dans les pays les plus riches, contre 10 millions au début des années 70. Des millions de nouveaux pauvres y représentent, selon les pays, entre 10% et 35 % de la population.
Précarité, marginalisation, insécurité croissantes dans la société se traduisent sur le terrain politique par des tendances à l'Etat fort, à la restriction des libertés démocratiques et des droits syndicaux, comme par une montée du racisme, de la xénophobie, des attaques contre les droits des femmes et des homosexuel(le)s, et la résurgence d'une extrême-droite néo-fasciste. Le recours systématique à la torture et au terrorisme d'Etat sont le fait de plus de soixante pays dans le monde, parmi lesquels des pays impérialistes. Dans le Tiers-monde, la lutte contre la répression y compris les enlèvements et les disparitions, donne un sens plus large au combat pour les libertés démocratiques aujourd'hui. Symbole de cette dégradation: plus de 150 ans après que l'abolition officielle de l'esclavage, il y a de nouveau des millions d'esclaves dans le monde.
Certes, les exploités et opprimés ne se laissent pas entraîner passivement vers des cataclysmes qui mettent en question leur avenir et jusqu'à leur survie. Des millions d'hommes et de femmes ont participé ces dernières années aux mobilisations contre la guerre, les armes nucléaires et le militarisme, pour la défense de l'environnement, pour le droit à l'avortement, pour l'autodétermination des nationalités opprimées, contre le racisme et le néo-fascisme, contre l'austérité et le chômage, contre l'impérialisme, la faim et le fléau de la dette qui accablent le "Tiers-monde", contre les privilèges et les dictatures bureaucratiques.
Nous luttons pour une issue globale à la crise qui sauvegarde les chances d'émancipation sociale de l'humanité et satisfasse pleinement l'objectif des droits de l'homme et de la femme, non seulement leurs droits civiques et politiques, mais aussi tout droit à l'emploi, à un niveau de vie décent, à la dignité, à la santé, à l'éducation, au logement.
Ni la jungle capitaliste ni une quelconque dictature bureaucratique ne peuvent répondre à ce défi. Une issue socialiste, internationaliste à la crise de civilisation passe par leur renversement. Cette possibilité est fondée sur le potentiel de combat et d'innovation du prolétariat et des opprimés.
Ce qui est illusoire, c'est plutôt l'idée selon laquelle de patients sacrifices et de sages réformes suffiraient à conjurer les périls. Jamais par le passé les prêches réformistes n'ont suffi à empêcher les crises, à éviter les guerres ou à contenir les explosions sociales. A l'avenir, ils ne les empêcheront pas plus. La résignation a toujours coûté infiniment plus cher que la lutte.