Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle
(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)
12. Seul le prolétariat peut construire une société sans classes
Les hommes et femmes salariés, c'est-à-dire tous ceux et toutes celles qui sont économiquement contraint(e)s de vendre leur force de travail, représentent la seule force sociale capable de paralyser et de renverser la société capitaliste et de construire une société fondée sur la coopération et la solidarité de la grande majorité de la population. C'est pourquoi la classe ouvrière ainsi définie est la colonne vertébrale de l'union de tous les exploité(e)s et opprimé(e)s dans la lutte pour le socialisme.
Il est vrai que, dans les pays anciennement industrialisés, la part des salarié(e)s travaillant dans la grande industrie manufacturière et dans les mines est en déclin par rapport à celle qui travaille dans le secteur dit des services.
Mais il ne faut pas généraliser de manière abusive le poids et les conséquences de ces transformations objectives et des effets subjectifs qu'elles engendrent parmi les travailleur(euse)s. Si des bastions ouvriers traditionnels dans l'industrie automobile, la sidérurgie, les fabrications mécaniques, se sont affaiblis, ils n'ont pas pour autant disparu. S'il y a eu déplacement massif de l'emploi vers les services, beaucoup de ceux-ci représentent en réalité des secteurs industriels (transports, télécommunications) et ont en outre fait surgir de nouvelles concentrations importantes de salarié(e)s. L'industrialisation, la mécanisation du travail, pénètrent dans des secteurs jadis moins combatifs comme la fonction publique et les banques, aptes aujourd'hui à paralyser l'économie capitaliste plus efficacement encore que les bastions ouvriers d'hier.
Plus nombreux et plus qualifié que jamais, le prolétariat mondial est fort à présent de plus d'un milliard d'êtres humains. La tendance dominante est celle d'une expansion et non d'une contraction du travail salarié de par le monde, y compris dans les pays les plus développés.
Cette croissance n'est certes pas homogène dans tous les pays, dans toutes les régions, dans tous les secteurs et dans toutes les branches industrielles. L'essor dans tel pays ou secteur est accompagné d'un déclin relatif dans tel autre. Mais la résultante de ces mouvements va dans le sens du développement et non du déclin de la classe des salarié(e)s.
Pour aider le prolétariat à acquérir graduellement l'expérience et la conscience nécessaires pour mener à bien un combat anticapitaliste à des moments décisifs de crise pré-révolutionnaire et révolutionnaire, la démarche générale reste celle du programme de transition: partir des préoccupations immédiates des masses pour les amener, à travers leur propre expérience de lutte, à s'orienter vers le renversement du capitalisme. Elle implique aujourd'hui des revendications comme notamment le contrôle ouvrier/employé sur la production, la suppression totale du budget militaire, l'appropriation collective des banques et des grandes entreprises, un impôt confiscatoire sur les fortunes les plus grandes. De même, reste valable la politique du front unique ouvrier, notamment pour riposter aux attaques contre les libertés démocratiques, à la montée de l'extrême droite, etc.
Les revendications transitoires spécifiques doivent toujours partir des véritables préoccupations quotidiennes des masses pour qu'elles puissent se rendre compte par elles-mêmes de la nécessité de lutter pour le renversement du capitalisme et la conquête du pouvoir.
L'hétérogénéité du prolétariat existe depuis les origines du travail salarié. Elle s'accompagne de divisions qui résultent de la segmentation du marché du travail. Le développement inégal et combiné des forces productives, les desseins de la bourgeoisie et de ses Etats, se sont toujours conjugués pour la maintenir et la renforcer. Elle exprime à des degrés divers les différences de conditions et de revenus entre travailleurs(euses) de différentes origines ethniques et "raciales" entre vieux et jeunes, hommes et femmes, actifs et chômeurs, "nationaux" et immigrés, qualifiés et non-qualifiés, manuels et intellectuels, d'un bout à l'autre de la planète.
La crise joue dans le sens d'un creusement des différences et des inégalités. L'explosion du chômage des jeunes dans de nombreux pays produit une couche sociale qui n'a jamais travaillé et se marginalise. Ensemble avec les travailleurs immigrés, les femmes expulsées du marché du travail et les défavorisés de tout genre, elle forme une couche sous-prolétarienne, à l'écart des traditions de solidarité ouvrière.
L'esquisse de ce qu'on appelle une société duale, ou plus morcelée encore dans les pays industrialisés, avec une fraction non protégée du prolétariat réduite à des conditions d'existence précaires semblables à celles du XIXe siècle dans les métropoles et à celles du "Tiers-monde" actuel, correspond en outre à un projet délibéré du Capital visant à affaiblir durablement le mouvement ouvrier. Y opposer l'exigence d'une résorption du chômage par la réduction radicale du temps de travail sans réduction des salaires ni accélération des cadences est donc une tâche centrale du mouvement ouvrier.
Cependant, l'internationalisation des forces productives, l'avènement des sociétés multinationales, la troisième révolution technologique, uvrent, à la longue, en faveur d'une convergence graduelle des revendications, et d'une imbrication des luttes et des organisations.
Le prolétariat inclut la masse des salariés agricoles qui sont plusieurs centaines de millions dans le monde. Leur poids social a pu décliner par rapport à la population active globale, tout en continuant à augmenter en chiffres absolus dans des pays comme l'Inde, l'Indonésie, le Brésil, l'Egypte, le Pakistan ou le Mexique.
Par ailleurs, une frontière floue sépare et unit à la fois le prolétariat des villes et le semi-prolétariat des champs (paysans indépendants disposant de trop peu de terres pour pouvoir subsister toute l'année et obligés de s'adonner au travail salarié temporaire), y compris les paysans pauvres. Le potentiel de mobilisation de ces classes et couches sociales s'est déjà exprimé dans des mouvements impétueux d'occupations de terres, voire de leur mise en valeur productive. Elles seront partie intégrante de la révolution socialiste dans les pays concernés.
De même, la masse importante des semi-prolétaires marginalisés des villes du "Tiers-monde" représente une des forces les plus explosives de rupture de l'ordre social. Elle peut servir de clientèle ou de masse de manuvre à des forces populistes réactionnaires. Mais, pour peu que les organisations ouvrières s'érigent en défenseurs systématiques de ces déshérités, prennent en charge leurs intérêts, stimulent et aident leur organisation autonome, le combat pour la "réforme urbaine" peut devenir, avec le combat pour la réforme agraire, une des forces motrices de la révolution permanente dans les pays sous-développés.
Dans plusieurs pays capitalistes clefs, notamment aux Etats-Unis, en Inde, au Mexique, en Argentine, en Egypte, en Iran, le prolétariat n'a pas encore conquis son indépendance politique de classe. Il demeure dans sa grande majorité enrégimenté politiquement par des forces populistes, voire bourgeoises traditionnelles. Dans ces pays, la lutte pour la conquête de cette indépendance politique reste la tâche primordiale.