Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle

(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)

 

19. Relancer le combat internationaliste

L'internationalisation des forces productives a connu ces dernières décennies une nouvelle accélération. Les multinationales, dont moins de sept cents dominent à elles seules le marché mondial, échappent de plus en plus au contrôle de quelque gouvernement que ce soit, y compris ceux des principales puissances impérialistes. Elles transfèrent de pays en pays leurs investissements, les centres de production, de stockage et de distribution, en fonction du seul critère de la recherche du profit maximum. L'internationalisation des forces productives, du capital, des services, de la division du travail, conduit à une internationalisation croissante de la lutte de classe.

En créant il y a plus d'un siècle les premières internationales ouvrières, le mouvement ouvrier avait su prendre l'initiative. Le conservatisme et le chauvinisme des appareils bureaucratiques ont conduit à un repli, à la collaboration avec le patronat "national", en tournant le dos à une stratégie internationale efficace de riposte aux trusts.

Dans les pays impérialistes, cette régression de l'internationalisme peut revêtir la forme chauvine classique : "les" allemands, ou "les" japonais, ou "les" mexicains, ou "les" américains, exploiteurs et exploités confondus, seraient responsables du chômage qui "nous" frappe ! Elle peut aussi prendre la forme d'un alignement sur l'Europe des trusts et du patronat, celle d'un "euro-chauvinisme" des nantis, qui n'est qu'une variante de nationalisme réactionnaire.

La seule réponse efficace à la stratégie mondiale des multinationales, c'est la solidarité internationale des travailleurs de tous les pays, contre les patrons "nationaux" aussi bien qu'étrangers. Elle passe par la coordination de l'action syndicale par delà les frontières, visant à opposer à l'alignement vers le bas des salaires et conditions de travail des différents pays un alignement progressif vers le haut. Loin de nuire à l'industrialisation et à la création d'emplois dans le "Tiers-monde", une telle approche substituerait au "modèle de développement" fondé sur l'exportation des bas salaires, un modèle centré sur l'élimination de la misère, l'élargissement du marché intérieur et le transfert massif vers les pays sous-développés de technologies de pointe.

L'ensemble du mouvement ouvrier devrait lutter pour l'annulation totale et immédiate de la dette des pays sous-développés et de celle des pays de l'Europe de l'Est. Ceci est une obligation de solidarité élémentaire avec les plus pauvres et les plus exploités.

L'internationalisme aujourd'hui, c'est aussi un combat contre la division de la classe ouvrière, contre ses conséquences racistes et xénophobes au coeur même des métropoles impérialistes (en particulier contre les travailleurs immigrés), et la dynamique fascisante dont elle peut être porteuse.

Les révolutions ne s'exportent pas. Elles ne sont pas non plus l'effet de complots d'un quelconque "centre subversif international". L'impérialisme a imposé et impose des régimes d'exploitation et de dictature, de misère et d'humiliation. C'est contre ces régimes que les masses se soulèvent sans que personne ne les manipule.

En revanche, c'est la contre-révolution qui s'exporte sous couvert de pactes et alliances impérialistes ou bureaucratiques. Il n'y a pas eu de combat contre la domination du Capital (des révolutions russe, finlandaise, allemande et hongroise aux révolutions espagnole et yougoslave), contre le joug colonialiste (de la révolution chinoise et indochinoise aux guerres de libération africaines) ou contre les tyrannies néo-coloniales (Cuba, Nicaragua, Salvador, etc.) qui ne se soit heurté à l'intervention militaire des puissances impérialistes ou à leur menace pressante.

Face à cette agressivité impérialiste, une solidarité internationale massive a fait la preuve de son efficacité à des moments importants. Le mouvement ouvrier suédois a empêché la guerre de la Suède contre l'indépendance de la Norvège en 1905. La révolution russe fut sauvée, en 1920, par le mouvement ouvrier britannique, empêchant l'agression militaire de son propre impérialisme, qui voulait intervenir aux côtés de la Pologne. La solidarité de masse a freiné l'intervention impérialiste contre Cuba et le Nicaragua, même si elle n'a pas réussi à lever le blocus infligé à ces pays.

Mais en Indochine et au Nicaragua, le prix imposé par l'intervention contre-révolutionnaire pendant de longues années a été extrêmement élevé. Elle a laissé des peuples exsangues, des économies détruites et incapables d'assurer une amélioration rapide du niveau de vie. La solidarité militante dans ses différentes formes, qui permettrait la victoire la plus rapide et la moins coûteuse possible, est une réponse nécessaire à l'internationalisation de la contre-révolution.

La crise sociale du capitalisme revêt plus que jamais une dimension mondiale. Aucune solution sérieuse ne peut être apportée nationalement aux questions cruciales du désarmement, de l'énergie, de la destruction de la biosphère, de la faim et des maladies dans le "Tiers-monde". On peut et on doit commencer à s'attaquer à ces fléaux dans chaque pays. Mais on ne pourra réellement les éliminer qu'à l'échelle de la planète.

Gorbatchev a abandonné le mythe réactionnaire de la possibilité de parachever la construction du socialisme dans un seul pays ou dans un seul camp en soulignant la mondialisation des grands problèmes. Plus réaliste, ce diagnostic ne va toutefois pas jusqu'aux conclusions des marxistes, pour qui la révolution socialiste mondiale, incluant les principaux pays industriels, peut seule résoudre la crise de l'humanité.

Au contraire, l'accent mis par Gorbatchev sur la mondialisation débouche sur un autre mythe réactionnaire, selon lequel on pourrait résoudre tous les problèmes majeurs grâce à une coopération croissante avec l'impérialisme. Dans la mesure où elle exerce une pression sur les mouvements de masse dans le sens de compromis avec l'impérialisme ou de capitulation face à celui-ci, cette politique contribue en fait à perpétuer le système d'oppression et rend à la longue les catastrophes inévitables.

 

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