Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle
(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)
2. Pas d'atterrissage en douceur de la dépression
Ceux qui, grisés par le boom de l'après-guerre, misaient sur un capitalisme pacifique et social, garantissant le plein-emploi et la hausse constante des revenus réels, ont déjà vu leurs illusions s'effondrer. Ceux qui misent aujourd'hui sur une sortie en douceur de la dépression, moyennant patience et sacrifices accrus de la part des exploités, ne saisissent pas le lien intime entre les dangers qui nous menacent et la logique intrinsèque de l'économie de marché généralisée, qui est l'essence même du capitalisme : concurrence exacerbée sans égard aux effets sur l'ensemble de la société; poursuite sans frein du profit et de l'enrichissement privé à court terme sans considération pour les coûts humains de cette course folle et pour les blessures qu'elle inflige à la nature; extension des comportements compétitifs et agressifs dans les relations entre individus, groupes sociaux, Etats; égoïsme et corruption généralisés, guerre de tout(e)s contre tout(e)s, et "malheur aux faibles et aux vaincus!"
La dépression longue est le résultat de cette logique impitoyable de l'économie capitaliste. Elle n'exclut pas des phases de reprise de l'activité économique. Mais ces reprises impliquent un transfert accru du coût de la crise sur le "Tiers-monde" et sur les plus démunis dans les métropoles. Elles ne parviennent même pas à faire reculer le chômage dans les pays riches eux-mêmes. L'étirement de la dépression dans la durée signifie déjà un calvaire sans fin pour les misérables et les laissés pour compte.
Si pendant les premières décennies d'après-guerre les récessions ont eu moins d'ampleur que pendant les cinquante années précédentes, elles tendent à s'aggraver depuis les années 70. L'économie capitaliste internationale ne réussit pas à dépasser le dilemme: ou bien inflation aggravée, ou bien crises de surproduction aggravées. Un nouveau krach bancaire-financier du type 1931, s'il reste improbable, n'est plus exclu.
C'est le développement d'une technologie soumise aux impératifs de la concurrence et du profit, ou à l'incurie bureaucratique, et non la perversité prétendument intrinsèque et incontrôlable de la technologie ou de la science en elles-mêmes, qui risque de nous entraîner vers des désastres majeurs. C'est la subordination de la science à des impératifs étroits de rentabilité à court terme qui provoque l'emballement technique apparemment irrésistible et l'essor de technologies intrinsèquement dangereuses. Avec le capitalisme, triomphe dans tous les domaines la combinaison d'une rationalité partielle, fragmentaire, et d'une irrationalité globale de plus en plus explosive.
Même s'il est illusoire de croire aux effets automatiquement bénéfiques du progrès scientifique, il faut reconnaître que l'humanité n'a pas besoin de moins de science, de moins de raison, de moins de technique, mais au contraire de plus de science réconciliée avec la conscience de ses intérêts sociaux à long terme, d'une technique soumise à l'intelligence et à l'éthique collective des producteurs(trices) associé(e)s, qui implique l'objectif: émancipation et solidarité humaines universelles. Elle n'a pas besoin d'un retour à des superstitions et des mythes obscurantistes.
La lutte pour la réalisation des droits de l'homme et de la femme sur tous les continents est au cur de ce combat. Dans une société où le principe souverain est le respect de la propriété capitaliste et de la priorité du profit, il est impossible de garantir à toutes et à tous la jouissance pleine et entière des droits démocratiques et sociaux fondamentaux. Le mouvement ouvrier doit retourner contre la bourgeoisie la campagne pour les droits de l'homme et de la femme, se faire le défenseur le plus résolu des libertés démocratiques. Mais il ne pourra gagner confiance et autorité que s'il applique dans ses propres rangs les mêmes principes et s'il ne s'accommode d'aucune violation de ces droits dans les pays où il est au gouvernement.
Des intérêts puissants s'opposent au désarmement universel généralisé, empêchent d'arrêter la pollution de l'air, des mers et des continents, de supprimer la faim, la misère et l'anxiété désespérante de la vie quotidienne, de vaincre les antidotes meurtriers contre cette anxiété tels que l'alcoolisme et la drogue.
Il est illusoire d'imaginer un capitalisme sans crises périodiques de surproduction - véritables affronts à l'humanité, compte tenu des milliards d'êtres dont les besoins les plus élémentaires ne sont pas satisfaits. Il est illusoire d'imaginer un capitalisme sans chômage, sans pauvreté, sans discriminations à l'égard des femmes, des jeunes, des vieux, des immigrés, des minorités nationales, sans racisme ni xénophobie. Le mode de production capitaliste ne parviendra pas plus demain qu'hier à les éviter.
L'internationalisation croissante des forces productives entraîne une tendance vers l'internationalisation du Capital. Elle implique surtout une globalisation croissante des problèmes centraux de l'humanité, qui ne peuvent plus être résolus qu'à l'échelle planétaire par l'avènement d'une Fédération Socialiste Mondiale.
Mais malgré sa large hégémonie temporaire sur la scène politique mondiale, l'impérialisme est incapable de maîtriser cette globalisation. Déchiré par la concurrence inter-impérialiste qui s'aggrave en période de dépression, prisonnier de l'Etat national qui se survit, contesté par des secteurs importants de la population mondiale, l'impérialisme ne peut actuellement écraser ses propres populations comme le fit le fascisme hier. Mais l'Etat fort se développe et un bouillon de culture raciste, pré-fasciste surgit.
Face à ces tendances, l'aveuglement n'est pas permis : refuser de voir aujourd'hui ces dangers est tout aussi irresponsable, est tout aussi lâche, que ce ne l'était avant Auschwitz et après Hiroshima.