Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle

(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)

 

21. Nous sommes révolutionnaires

Pour instaurer un socialisme authentique et démocratique, il n'est d'autre voie que celle de la rupture avec le capitalisme et les régimes bureaucratiques, de leur renversement par la mobilisation de masse, en un mot celle de la révolution.

Le bilan du siècle qui s'achève n'est pas seulement celui de la faillite du stalinisme. Il est tout autant celui de la faillite de la social-démocratie, de son intégration croissante aux rouages de l'appareil d'Etat bourgeois, de sa gestion loyale et brutale des intérêts impérialistes, de son union sacrée avec ses partenaires bourgeois. Il est enfin celui de la faillite du nationalisme bourgeois et petit-bourgeois dans les pays du "Tiers-monde", incapable d'achever l'indépendance nationale et l'émancipation sociale. Le vingtième siècle n'a pas été un siècle de progrès pacifique et graduel, mais un siècle de révolutions, de guerres et de contre-révolutions.

Les masses ne sont pas révolutionnaires en permanence. Elles ne se lancent dans des entreprises révolutionnaire que par nécessité, lorsque la situation courante devient insupportable, lorsqu'elles ne supportent plus l'insupportable, lorsqu'elles se métamorphosent et brisent le cercle de la soumission et de la subordination au cours d'une crise révolutionnaire. Ces crises sont périodiquement inévitables.

La tâche de ceux et celles qui sont conscients de cette réalité est d'aider à l'accumulation quotidienne d'expériences, au rassemblement et à l'éducation des éléments les plus combatifs, de tracer des objectifs tels qu'une crise révolutionnaire puisse déboucher sur une victoire et non sur une contre-révolution, dont les exploités et les opprimés auraient à payer le prix pendant de longues années.

Les exploiteurs et les gouvernants identifient révolution avec violence et terreur. Ils brouillent les cartes et les responsabilités, mélangeant les coûts de la révolution et ceux de la contre-révolution. Comme si leur ordre n'était pas celui d'une violence quotidienne, par la misère, la faim, le travail forcé, les guerres, infiniment plus dévastateurs au bout du compte que toute révolution. Comme si les contre-révolutions et les dictatures totalitaires (fascistes !) ou semi-fascistes sur lesquelles elles ont souvent débouché, n'avaient pas déchaîné des violences et causé des pertes incomparables.

Les bombardements américains en Indochine ont coûté beaucoup plus de morts que la révolution. Quant aux millions de morts du Goulag, ils sont à mettre au compte, non de la révolution d'Octobre, mais de la contre-révolution stalinienne.

On entend dire que l'ère des révolutions est close, qu'elles appartiennent à un âge désormais révolu, qu'elles sont devenues impossibles face à la force de puissances impérialistes surarmées. Pourtant la lutte de libération vietnamienne est venue à bout d'une intervention américaine usant de moyens sans précédent. Pourtant la révolution cubaine a triomphé à la barbe du colosse impérialiste. Pourtant la révolution nicaraguayenne a renversé Somoza dans l'arrière-cour même du gendarme du monde.

Les prêcheurs du "moindre mal" disent encore qu'il vaut mieux se contenter du capitalisme et de ses méfaits, que de risquer des dictatures bureaucratiques totalitaires prétendument irréversibles. Hier encore, ils prétendaient que, dans les pays dits "communistes", l'Etat tentaculaire avait dévoré et paralysé à jamais la société. Pourtant, cette société s'est réveillée et s'est rebiffée. Elle a bousculé les bureaucrates et fait éclater leur carcan.

Un nouveau chapitre de l'histoire commence, dès lors que les effets positifs de l'élimination de l'écran stalinien apparaîtront:

· Dans les pays d'Europe orientale et dans l'ex URSS vont s'écrire des pages inédites du double combat de masse pour la démocratie et contre la privatisation. De ces luttes émergera petit à petit un mouvement ouvrier politique revitalisé, fondé sur l'indépendance par rapport à l'Etat, le rejet de tout monopole politique, la séparation de tous les partis politiques de l'Etat, la représentation et l'égalité pour les femmes et les minorités nationales, l'exercice du pouvoir par des organismes démocratiquement élus, le démantèlement des corps répressifs, l'autogestion.

· Dans les Etats impérialistes, la stratégie révolutionnaire combinera l'héritage de la première moitié du siècle et celui des années 60 et 70, du Mai français à la révolution portugaise : auto-organisation sociale généralisée; aspiration à l'autogestion; mouvement autonome pour l'émancipation des femmes; solidarité internationaliste, y compris avec la lutte anti-impérialiste; lutte générale pour la qualité de la vie.

· Dans les pays dépendants, les expériences cruciales, de victoires ou de défaites, ont confirmé quelle est l'alternative réelle: ou bien révolution socialiste ou bien caricature de révolution. Cette alternative n'amène pas à une sous-estimation des tâches nationales et démocratiques, ni à une confusion entre le début d'un processus révolutionnaire et son aboutissement. Elle ne suggère pas qu'il faille ignorer le problème des alliances. Mais elle implique qu'il faut éviter toute subordination des masses laborieuses à la bourgeoisie dite nationale.

Le danger de bureaucratisation n'est pas inhérent à la seule organisation en parti politique. Il plonge ses racines dans l'existence de l'Etat, en tant qu'appareil professionnel du pouvoir, dans les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, dans les effets sur le mouvement ouvrier de la division sociale du travail. Les syndicats et les diverses associations ne sont pas moins exposées à ce danger que les partis. Les démagogues des médias, même "sans parti", ne sont pas les moindres bureaucrates.

Le seul moyen, non d'éliminer totalement les risques de bureaucratisation, mais de les contrecarrer et de les réduire progressivement, c'est la démocratie au sein des organisations, qui doivent s'efforcer de corriger et de combattre les inégalités sociales, sexuelles et culturelles dans leurs rangs, notamment par l'éducation et une pratique collective qui élèvent le niveau de conscience, une activité croissante et continue des membres sans laquelle la démocratie interne reste largement fictive, et l'assimilation des leçons de l'expérience historique, notamment dans le domaine des garanties institutionnelles de la démocratie ouvrière (droit de tendance!)

 

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