Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle

(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)

 

22. Pour de nouveaux partis révolutionnaires, pour une Internationale révolutionnaire de masse.

L'aveu officiel des crimes de Staline par les autorités soviétiques souligne le sens du combat mené par l'Opposition de Gauche dès 1923 et la IVe Internationale dès sa fondation, en 1938, contre la dégénérescence bureaucratique du PCUS et de l'Internationale communiste. Grâce à la fermeté et au courage de ceux et de celles qui, en URSS, ont entrepris la lutte contre le stalinisme, grâce à la détermination de Léon Trotsky et de ceux qui, avec lui, ont fondé la IVe Internationale, nous pouvons aujourd'hui regarder en face, sans honte ni culpabilité, les prolétaires de l'ex Union soviétique, de Chine, et d'Europe orientale.

La construction simultanée dans les différents pays d'organisations révolutionnaires les mieux enracinées possible dans leur réalité nationale, et d'une Internationale révolutionnaire est pour nous une question de principe, qui correspond aux conditions objectives et aux besoins de l'ère impérialiste.

Pour les révolutionnaires aussi, l'existence détermine la conscience. La solidarité internationale, le soutien aux luttes, les échanges, si nécessaires et précieux soient-ils, ne suffisent pas.

C'est en construisant ensemble une Internationale avec des révolutionnaires d'autres pays et en poursuivant ensemble l'élaboration de son programme, que nous pourrons voir le monde en même temps avec les yeux de la travailleuse russe ou de l'étudiant chinois en lutte contre la bureaucratie, avec ceux du travailleur, du paysan et de la femme surexploités du "Tiers-monde", avec ceux du mineur britannique, de l'ouvrier japonais de l'automobile et de l'électronicien nord-américain.

C'est ainsi seulement que nous pourrons toujours être à la fois aux côtés du mouvement anti-bureaucratique et aux côtés des opprimés écrasés par l'impérialisme, aux côtés des travailleurs des métropoles impérialistes luttant contre le patronat et son Etat; que nous pourrons garder pour seul guide et boussole les intérêts généraux, sociaux et historiques du prolétariat, et non les intérêts particuliers et diplomatiques des Etats, des "camps", des "blocs", de quelconques gouvernements ou "partis-guides".

S'il existe aujourd'hui dans le monde des organisations luttant sincèrement et parfois héroïquement pour l'abolition de l'exploitation dans leur pays, donc des organisations révolutionnaires nationales, il n'existe malheureusement pas en dehors de la IVe Internationale de courant significatif qui mette immédiatement à l'ordre du jour la construction d'une Internationale révolutionnaire.

Les réticences d'autres courants révolutionnaires à construire une organisation internationale ont des causes profondes.

La faillite de la IIe Internationale, la capitulation chauvine de ses principaux partis et dirigeants dès la déclaration de la première guerre mondiale, ont nourri l'idée que l'internationalisme ne va pas au delà des bonnes intentions et se brise pratiquement lorsque des partis de masses affrontent des situations critiques.

Après la mort de Lénine, l'expérience de l'Internationale communiste, dictant à ses sections nationales des changements d'orientation, voire de dirigeants, par des décisions venues du "centre", ont suscité une tenace et légitime défiance envers le danger d'un centralisme bureaucratique international. L'expérience tout aussi désastreuse de non séparation entre le parti et l'Etat et de subordination des "partis frères" aux intérêts étatiques et diplomatiques des diverses "patries du socialisme", qu'elles soient soviétique ou chinoise, ont encore renforcé un souci d'indépendance nationale chez nombre d'organisations révolutionnaires.

Enfin, le poids matériel des Etats bureaucratisés a pesé lourdement sur le mouvement ouvrier international, y compris sur des organisations révolutionnaires soucieuses, pour se ménager leur aide matérielle, d'éviter un affrontement politique avec ceux-là, quitte à mettre entre parenthèse l'impératif de solidarité internationaliste à l'égard des travailleurs et des peuples victimes de la bureaucratie.

Pourtant, dans un monde de plus en plus interdépendant, l'internationalisme n'est pas un simple impératif moral, mais une nécessité stratégique et tactique immédiate. La construction d'une Internationale est une tâche qui ne saurait être remise au lendemain. La IVe Internationale est un instrument aujourd'hui irremplaçable, le seul qui existe, pour avancer sur cette voie fût-ce de manière modeste.

Nous savons que la construction de partis révolutionnaires de masse dans une série de pays, et de l'Internationale révolutionnaire de masse, ne marchent pas nécessairement du même pas. Chaque fois que, dans un pays, apparait la possibilité de construire un parti des travailleurs, indépendant de l'Etat, de la bourgeoisie ou de la bureaucratie, et garantissant un véritable droit de tendance, chaque fois qu'existe une organisation révolutionnaire dont nous partageons les objectifs et les voies dans la lutte pour le renversement du capitalisme, nous n'avons aucune raison de nous tenir à l'écart et de cultiver un particularisme de secte. Nous proposons au contraire le rassemblement des révolutionnaires dans la même organisation démocratique sur le plan national, pour mieux nous tourner ensemble vers les autres courants, réformistes ou populistes de gauche, et leur proposer l'unité d'action à tous les niveaux contre la bourgeoisie et contre la bureaucratie.

Mais aussi longtemps que nous ne pouvons convaincre nos camarades ou partenaires révolutionnaires de la nécessité et de l'actualité du combat immédiat pour la construction d'une Internationale révolutionnaire, fondée sur un programme de défense des intérêts des exploité(e)s et opprimé(e)s de tous les pays, nous revendiquons le droit de poursuivre seuls ce combat au grand jour.

Un accord sur le projet d'Internationale et une pratique dans ce sens ne sont pas des préalables à la construction de partis nationaux communs avec d'autres courants, dès lors que l'accord sur les tâches et sur la pratique le permet. Mais aucune muraille de Chine ne sépare la politique nationale et la politique internationale. Dans un monde où la lutte de classes est plus que jamais internationale, la première n'est pas une question d'actualité alors que la seconde serait une question de l'avenir.

Nous restons fidèles aux principes fondamentaux du Manifeste communiste: aucun intérêt particulier ne nous sépare des intérêts de l'ensemble du prolétariat. Nous ne proclamons aucun principe particulier sur lequel nous voudrions modeler le mouvement ouvrier. Nous ne nous distinguons des autres partis de la classe ouvrière que sur deux points. Dans les différentes luttes nationales des travailleurs nous faisons valoir les intérêts qui sont indépendants de la nationalité et communs à tous les salarié(e)s; et dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, nous cherchons toujours à défendre en même temps les intérêts historiques du mouvement dans son ensemble.

Nous appelons tout(e)s les socialistes à conformer strictement leur pratique quotidienne, partout et toujours, à ce que Marx a appelé un impératif catégorique: combattre pour le renversement de toutes les conditions qui font de l'être humain un être aliéné, humilié, méprisé, quelles que soient les forces sociales responsables de ces abominations. La crise de crédibilité du socialisme ne sera surmontée qu'à cette condition.

La IVe Internationale également appelle au combat unitaire contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression de par le monde : pour la démocratie socialiste pluraliste; pour une économie autogérée et planifiée tournée vers la satisfaction des besoins par la prise en main des grands moyens de production, d'échange et de communication par les producteurs et productrices librement associé(e)s; pour le désarmement intégral et universel; pour l'émancipation des femmes et l'égalité des sexes; pour la solidarité internationale et internationaliste; pour la sauvegarde de la planète et la survie du genre humain.

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