Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle
(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)
II. Les obstacles à surmonter
7. La crise de crédibilité du socialisme
La résistance des exploité(e)s et des opprimé(e)s aux méfaits du capitalisme, de l'impérialisme et des dictatures bureaucratiques ne cesse de se manifester. Mais elle est pour le moment marquée par les conséquences de la crise générale de crédibilité de la perspective et du projet socialistes, qui s'accentue depuis au moins une décennie.
Cette crise de crédibilité se nourrit fondamentalement de la prise de conscience, tant par les masses que par leur avant-garde, de la faillite pratique parallèle du stalinisme, du gradualisme social-démocrate et du nationalisme populiste dans le "Tiers-monde". Le résultat est qu'il n'y a plus dans la conscience des masses un "modèle de société" global de rechange par rapport au capitalisme.
Cela ne remet pas seulement en question les références à la révolution d'octobre dans la conscience de masse, mais aussi la référence à l'espoir d'avant et d'après 1914 de réaliser une société non-capitaliste sans classes par la voie de l'accumulation de succès électoraux et de réformes successives. Dès lors, beaucoup de luttes de masse tendent à se fragmenter. Les travailleur(eusse)s y participent souvent en tant que citoyen(ne)s, voire en tant qu'individus, sans s'identifier au mouvement ouvrier.
Les femmes ne se sont jamais identifiées aussi fortement avec les organisations ouvrières traditionnelles, parce que ces dernières ont ignoré les problèmes spécifiques des femmes pendant des décennies, leurs directions à prédominance masculine adoptant presque toujours des attitudes paternalistes et méprisantes. C'est pourquoi les femmes engagées aujourd'hui dans les luttes sont moins susceptibles d'être démoralisées par cette crise de crédibilité. C'est le cas également des nouvelles générations comparées aux anciennes.
La crise de crédibilité des perspectives socialistes n'est certes pas absolue. Elle touche davantage les pays qui connaissent un mouvement ouvrier traditionnel de masse, où ces masses ont connu de grandes déceptions au cours des décennies passées. Elle touche moins les pays à mouvement ouvrier relativement jeune, sur lequel ne pèsent pas les défaites du passé : Brésil, Afrique du sud, Corée du sud. Elle est moins prononcée dans le sud asiatique.
Mais ses effets plus ou moins débilitants n'en sont pas moins présents partout, fût-ce dans des proportions différentes. Pour le comprendre, il faut en saisir les deux causes fondamentales.
D'une part, à partir du début des années 80, se sont combinées dans la conscience des masses la perception des crimes récents du stalinisme (répression de Solidarnosc , crimes du régime de Pol Pot au Kampuchéa; invasion d'Afghanistan; répression de la place Tien An-Men, etc.) Dans la même période s'est développée la capitulation honteuse de la social-démocratie gouvernante (France, Etat espagnol, Portugal, Grèce, Suède, Finlande, Pays-Bas, Saint Domingue, Vénézuéla, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.) devant la politique d'austérité et de réduction des salaires directs et indirects.
Dans ces conditions, l'attachement de toute manière fort relatif à ces partis traditionnels épouse de moins en moins l'espoir de les utiliser comme instruments de lutte pour une société socialiste. Il prend essentiellement la forme d'un choix de moindre mal soumis d'ailleurs à des fluctuations électorales de plus en plus amples.
Mais d'autre part, les masses elles-mêmes n'ont pas non plus déclenché au cours de cette décennie des luttes d'ensemble à dynamique anti-capitaliste, comparables à celles des années 60 et 70. Il n'y a plus eu une seule révolution victorieuse depuis la révolution nicaraguayenne en 1979. Il n'y a plus eu dans les pays impérialistes une seule grève générale prolongée ou une seule explosion révolutionnaire depuis la révolution portugaise. Il n'y a plus eu à l'Est une seule montée de masse d'ensemble contre la dictature bureaucratique comparable à l'explosion de Solidarnosc en 1980-81.
Le scepticisme des masses quant à un "modèle global de société" n'est donc pas seulement nourri par la banqueroute des appareils staliniens, post-staliniens et réformistes. Il reflète aussi une prise en considération instinctive de la détérioration des rapports de force à l'échelle mondiale aux dépens du prolétariat, détérioration qui est incontestable, bien que plus réduite que ne prétendent des idéologues de diverses inspiration. Cette perception freine à son tour un engagement socio-politique d'ensemble de ces mêmes masses.