Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle
(Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)
8. Société de consommation et privatisation
La longue expansion économique après la deuxième guerre mondiale dans les métropoles, et ses retombées partielles dans des pays dépendants semi-industrialisés, ont été marquées par une expansion de la consommation de biens durables des classes moyennes et des couches supérieures du prolétariat. En fait, le logement, l'équipement électroménager et l'automobile, souvent achetés à crédit, c'est-à-dire par un gonflement universel de l'endettement, expliquent en bonne partie ce "boom". La transformation des habitudes et des murs à laquelle a abouti la "société de consommation" entraîne une "privatisation" et un repli sur soi croissant de la part des individus.
Il faut se garder de condamner en bloc ce développement de la consommation chez des secteurs des masses populaires. Sa portée libératrice, notamment pour les femmes, hier encore presque toutes astreintes à de pénibles travaux ménagers, est incontestable. L'idée que l'accès à un minimum de confort serait un signe d'embourgeoisement est profondément réactionnaire. Jamais les socialistes n'ont prôné l'ascèse. L'homme et la femme ne sont pas condamnés à produire leur pain à la sueur de leur front.
La reproduction de cette superstition chez certains courants écologistes radicaux n'est pas davantage justifiée. Ce n'est pas vrai que les ressources font défaut pour assurer à tout(e)s les habitant(e)s de la planète un minimum de confort. Il suffirait de planifier rationnellement l'emploi des ressources, de supprimer toute production de biens nuisibles, à commencer par les armes, d'éliminer tous les gros gaspillages, de stimuler de manière prioritaire la recherche de produits nouveaux compatibles avec les exigences écologiques, et de produits de substitution aux ressources naturelles rares. L'idée qu'il faille sacrifier délibérément les intérêts, voire la survie, des générations présentes, sous prétexte de ne pas mettre en danger celle de générations futures, est une idée inhumaine.
Mais les effets positifs d'un développement de la consommation dans certaines couches populaires ont eu comme corollaires des phénomènes négatifs qui érigent de nouveaux obstacles sur le chemin de l'émancipation.
Le contrôle de la production des biens de consommation durables par le Capital conduit à accroître considérablement les gaspillages et l'emploi irrationnel des ressources. La consommation individuelle est stimulée systématiquement au dépens de la consommation collective (des services sociaux). La qualité des produits est systématiquement détériorée pour permettre leur remplacement de plus en plus rapide. Des "besoins" artificiels sont stimulés. Devant l'étalage de ces "produits nouveaux", une frénésie de surconsommation est encouragée. La manipulation des besoins par la publicité massive démasque le mythe de la "liberté du consommateur". Le "capitalisme tardif" a besoin d'un climat permanent de besoins insatisfaits qui engendre la frustration généralisée.
En outre, la privatisation croissante de la consommation prive les individus d'un tissu élémentaire de rapports humains. Le "chacun pour soi", qui est déjà source de déséquilibres, de crises, d'irrationalité croissante dans le domaine de la production, de l'emploi, de la répartition des revenus, étend maintenant ses méfaits aux domaines de la consommation et des loisirs.
En réduisant de manière croissante la communication orale et la vie en commun, en privant l'être humain de l'affection et de la sympathie qui naissent des collectifs petits et grands comme centres de vie, cette privatisation plonge l'homme et la femme dans la solitude et le cynisme. Ce sont des obstacles sérieux sur la voie d'une prise de conscience socialiste, d'un combat pour une société qualitativement meilleure. Ils ne sont pas insurmontables, mais ils sont réels. Il faut rechercher des stratégies concrètes pour les surmonter.
Dans les pays du "Tiers-monde" l'aspiration à la "société de consommation" s'est surtout manifestée en milieu urbain, moins en fonction d'une croissances des revenus sauf pour une minorité fort réduite de la population qu'en fonction de la propagation du "modèle de consommation" des métropoles par les médias (radio, TV). En milieu rural, cette tendance est bien moins généralisée.